Jeudi 16 août 2012. Mirëdita Tirana !


Chapitre 14 sur 16.
(37 pages et 31 photos dans la version complète)

Extrait :



Le départ était pour bientôt. Nos sacs étaient donc quasiment bouclés mais on n’avait toutefois pas encore rangé les affaires du petit déjeuner. On ne sait jamais... Je suis descendu à la réception, histoire de savoir ce qu’il en était, muni de ce qu’il fallait pour payer notre deuxième nuit. Dans le meilleur des cas, je ferai d’une pierre deux coups : régler mon dû et apprendre une bonne nouvelle. Sinon, au pire, je remonterai manger avec les autres dans la chambre avant qu’on mette les voiles. La première bonne surprise fut que la personne qui m’a reçu n’était pas le réceptionniste à qui on avait eu affaire jusque là. Avec un peu de chance, il allait parler l’anglais et on allait donc pouvoir se comprendre. C’était le cas ! Quant à la deuxième bonne surprise, c’est qu’il avait reçu l’e-mail envoyé la veille au soir. Il ne devait pas y avoir beaucoup de clients dans l’hôtel car il m’a tout de suite associé à notre réclamation et s’est excusé du malentendu, m’apprenant en outre, mi-gêné mi-ravi, que ce matin, nous allions pouvoir prendre notre petit déjeuner dans le restaurant de l’hôtel. Restait l’épineux problème du prix à payer pour la nuit... Dans notre mail, on l’avait pour ainsi dire fixé : cinquante euros au lieu de soixante ! Après tout, l’hôtel n’avait pas tenu tous ses engagements et on s’estimait donc en droit de réclamer. Mais comment le gars allait-il réagir ? Allait-il accepter ? Allait-il refuser et pourquoi pas appeler la police s’il considérait qu’ainsi on agissait en malhonnêtes gens ? Ou bien allait-on trouver un terrain d’entente, par exemple en coupant la poire en deux ? Le fait est que je gardais à l’esprit l’irritation qu’on avait eue la veille et que je comptais donc bien obtenir réparation. Surtout que j’étais aussi ambassadeur de la colère de Muriel... qui n’avait pas eu de scrupule à m’envoyer seul au front ! Quoi qu’il en soit, j’y suis allé un peu au culot, maintenant mon « offre » et lui mettant sur le comptoir les cinquante euros annoncés. C’était délicat : d’un côté, j’avais payé plein pot la veille mais n’avais pas profité de tous les services promis. De l’autre, je savais bien que l’homme que j’avais devant moi n’y était pour rien ! Voire qu’il risquait d’être embêté s’il n’était pas le patron et s’il devait justement par la suite s’expliquer auprès de sa hiérarchie. Pour voir à combien ils correspondaient plutôt que pour me calculer ce que j’aurais pu lui devoir, il a sorti une calculatrice et a commencé à tapoter dessus pour faire ses conversions. Et c’est finalement sans faire de problème qu’il a accepté la somme que je lui tendais. J’étais satisfait d’avoir obtenu gain de cause. Il ne s’agissait pas non plus de se faire avoir. Comme quoi des fois, il ne faut pas hésiter et tenter le coup. Je suis remonté dans les chambres où j’étais attendu. Et ai annoncé aux miens qu’une table nous attendait et qu’on pouvait descendre manger. Nous avons été installés autour d’une grande table ronde dans la salle du restaurant de l’hôtel, une salle accueillant aussi les clients du bar et prolongée par une terrasse à l’extérieur. Il y avait déjà quelques personnes attablées. D’autres clients de l’hôtel ? Je ne crois pas. Plutôt des habitués qui devaient venir boire leur café tous les matins. Et qui nous ont regardés un peu comme si l’on venait d’une autre planète ; à moins que je ne me sois fait une idée ?! Etait-ce la première fois qu’un petit déjeuner était servi dans cette pièce ?! Qu’importe, on a profité de celui qu’on nous a servi et qui se composait de pain, de beurre et de confiture, d’œufs, de lait chaud et de jus de fruit. Allons, vous voyez, ce n’était pas si difficile de proposer un petit déjeuner ! On a bien mangé et en fin de repas, alors qu’on était rassasiés, du raisin nous a été apporté en plus. Ce qui fut presque embêtant : on avait râlé pour avoir un breakfast, ça n’aurait donc pas été très sympathique de notre part de bouder ce qu’ils nous avaient préparé ! Alors on est resté un peu plus longtemps à table où (je crois avoir été le seul) je me suis forcé à faire honneur aux grappes apportées !

Un peu plus de deux cents kilomètres nous séparaient de Tirana et c’est principalement sur la SH4 que nous allions les avaler. Reliant Kakavijë (à la frontière grecque) à Dürres (distante de quarante kilomètres environ de Tirana) via Gjirokaster, Tepelenë, Fier et Kavajë, cette route est un grand axe nord-sud et était en cela pour nous la promesse de rallier rapidement la capitale albanaise. Sur notre carte routière, la portion de route entre Fier et Rrogozhinë était en outre représentée à l’aide d’un double ruban vert au lieu du simple ruban rouge qui pourtant symbolisait déjà le réseau principal ! Allions-nous tester le premier tronçon à vocation autoroutière du pays ?! A suivre...

Sur la première partie de notre trajet du jour, la route suivait la Drino. Cette rivière prend sa source en Grèce sur un versant du mont Kucokrano et se jette à hauteur de Tepelenë dans la Vjosë qui, alors élargie, serpente ensuite jusqu’à atteindre la mer Méditerranée entre Fier et Vlorë. (Avec les oiseaux, les cours d’eau devaient être les seuls à pouvoir entrer et sortir librement du pays, sous Hoxha !) Ce jour-là, nous surplombions cette rivière, aussi pouvions-nous en apprécier la compagnie et l’observer avec d’autant plus de plaisir que la route était bonne. Miroitant au milieu d’un lit de galets blancs au moins trois fois plus large qu’elle, la Drino a tranquillement creusé avec le temps une claire et plate saignée entre des reliefs sauvages. De temps en temps, des éléments construits par l’Homme viennent perturber le paisible tableau bucolique qu’elle offre : des lignes électriques viennent ainsi parfois crypter la vue qu’on en a et des panneaux publicitaires imposer leurs couleurs artificielles... On a vu un bac permettant de traverser la Drino : relié à des élingues tendues entre deux malheureux poteaux en béton, il ressemblait un peu à une baleine échouée. On a vu aussi un drôle de pont, avec des piles démesurément massives comparées à son tablier qui était plutôt de la famille des ponts de singes ! Sans doute était-il construit autrement avant, on a dû en voir là une réparation, du « provisoire qui dure »...


Un bac sur la Drino.


Côté route, on retrouvait du déjà-vu : des panneaux plus ou moins fatigués affichant d’imprononçables noms de localités, différents types d’animaux (accompagnés ou non de quelqu’un pour les surveiller ou pour les guider), des petits marchands de fruits... Mais qui dit eau dit poissons, et la SH4 entre Gjirokaster et Tepelenë, grâce à la proximité de la Drino, m’a permis de prendre une photo que je n’avais pas réussi à faire lorsque nous longions le lac Ohrid quelques jours plus tôt : ces stands de bord de route où des poissons attendent dans des aquariums d’être vendus ! On n’a vu personne là où j’ai arrêté la voiture pour enfin rapporter ce souvenir visuel : le marchand aurait dû surgir en entendant notre véhicule s’arrêter, mais il a dû préférer continuer sa sieste quelque part à l’ombre. Ce qui n’était pas plus mal, dans un sens, puisqu’on n’avait pas forcément l’intention de s’approvisionner en poisson ! Ni en miel ; qu’il vendait aussi, dans des pots qu’il abritait du soleil sous des parasols dont certains portaient le logo de l’eau minérale naturelle locale : Tepelenë.


Miel et poisson frais !


En Serbie on avait vu des petits stands de vente familiaux devant le pas de certaines maisons. C’était parfois un parasol et une table sur laquelle de nombreux fruits étaient en exposition, parfois une simple pastèque posée sur un muret informant le passant qu’il pouvait en acquérir là. Plus généralement, on voit ce genre de petits commerces sur les bords des routes, et ils ne renvoient que l’image du point de vente qu’ils sont. Mais on ne se rend pas forcément compte de l’importance qu’ont ces sources de revenu pour ceux qui les tiennent, ni ce qui peut se cacher derrière. A ce sujet-là, je vous conseillerais le très beau film de la bosnienne Aida Begic, Premières neiges, dont les héroïnes gèrent, en voisines, un petit commerce de pots de confiture de prunes qu’elles sont amenées à vendre sur le bord des routes. Cette activité, sans être le cœur de l’intrigue, est au centre de l’histoire. Le film montre le travail effectué, le temps qu’il prend, le peu qu’il rapporte... Il nous parle du quotidien de petites gens à côté desquelles on passe lors des voyages qu’on fait comme celui-là, il nous permet cependant d’avoir à l’esprit ce qu’il peut y avoir « derrière tout ça ».


Vieux pâtre…


La route est bonne jusqu’à Tepelenë. Une trentaine de kilomètres, seulement, au bout desquels on entre dans la ville. Incendiée en 1914 puis ravagée par un tremblement de terre en 1920, elle a conservé sa place forte dont on longera les remparts. On verra aussi la statue d’Ali Pacha (dit « de Tepelenë ») : les sourcils froncés et les mains nerveuses, un mousquet pistolet sur la poitrine et les pieds dans des chausses à pompons, le barbu portant fez est assis comme peuvent l’être les Romains lorsqu’ils sont représentés presque allongés sur leurs sofas de banquets !

Après Tepelenë, suivre la route est devenu un tout autre sport à peu près jusqu’à Fier. Soixante kilomètres qui nous en ont paru six cents ! Certaines portions étaient dans un état lamentable et les autres étaient en travaux. Notre itinéraire traversait en fait à ce moment-là un immense chantier routier, et c’est sur des dizaines et des dizaines de kilomètres qu’on en a subi les caprices, roulant sur des sections de route s’apparentant plutôt à des chemins cabossés et sur des tronçons en pleine transformation ou flambant neufs. L’état de la route en général était tel qu’il nous était impossible de doubler le véhicule qui nous précédait. Soit parce que le plancher des vaches ressemblait à une piste de ski à bosses, soit parce que, même quand elle devenait très large, la route n’était qu’un ruban de gros cailloux sur lesquels on ne pouvait pas trop prendre de vitesse ; ou alors, au risque de fusiller nos pneus ou notre carrosserie ! Et c’est ainsi que pendant un très long moment, on a été le dernier wagon d’un « petit train » : une voiture avec sur sa galerie un colis bâché, une camionnette jaune pleine comme un œuf, une Ford Mondeo immatriculée en Grèce, et nous... Secoués au gré des caprices du terrain.


Des pistes parfois très larges mais où notre vitesse ne pouvait pas excéder 30 ou 40 km/h !



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