Lundi 13 août 2012. Korça
Chapitre 11 sur 16. (34 pages et 31 photos dans la version complète)
Extrait :
La nuit fut sans musique, on a beaucoup mieux dormi que durant la précédente ! C’était tant mieux car c’est toujours plus agréable de se réveiller en pleine forme, n’est-ce pas ?! En plus, la journée s’annonçait particulièrement reposante au niveau contraintes puisque non seulement on n’avait que quatre-vingts kilomètres environ à parcourir avant d’arriver à Korça, notre prochaine halte, mais parce qu’en plus on y dormirait... à l’hôtel ! Il y a perspectives plus angoissantes, n’est-ce pas ?! Avant de plier les tentes et de tout enfourner dans la voiture, nous avons pris notre dernier petit déjeuner macédonien au bord du lac, au soleil, sur le petit embarcadère, en prenant quelques photos et en s’émerveillant une fois encore du nombre de poissons que l’eau, si limpide, nous permettait d’observer.
L’heure était venue de payer pour les deux nuits qu’on avait passées au camping. Tout le monde était prêt et installé, je me suis rendu à la caisse du restaurant où c’est le père, Rino, qui m’a reçu. Ce matin-là, je portais mon T-shirt noir à motif rhinocéros de Dürer. C’était à peine fait exprès ; j’en profitais pour dire à mon interlocuteur que je collectionnais les rhinocéros et que le nom de son camping (son prénom !) avait forcément joué dans mon choix lorsqu’il s’était agi de trouver un lieu où dormir dans le secteur. Ça l’a fait sourire, forcément ; puis on en est revenu à nos moutons. Il m’a alors annoncé le prix que je lui devais, prix que j’ai trouvé trop bas par rapport à ce que j’avais prévu. Je ne comprenais pas, et quelque part, je n’avais pas envie de le spolier. Je lui ai donc rappelé, interrogatif, les tarifs que j’avais vus sur son site et que j’avais notés dans mes documents de voyage. C’est alors qu’il a insisté pour nous faire une fleur et m’a rappelé qu’à notre arrivée (bien qu’il ne fut pas présent à ce moment-là), alors qu’on hésitait à venir planter nos sardines sur son terrain, sa femme nous avait proposé, pour nous convaincre, de nous faire un prix. Leur parole avait été donnée, Rino souhaitait donc la tenir ! Chapeau ! J’étais dans mes petits souliers et je n’ai pu que le remercier mais mes mots, aussi sincères furent-ils, m’ont sur l’instant semblé être peu de chose par rapport à l’effort financier que je leur demandais peut-être. C’est donc avec l’impression de pousser le bouchon que je lui ai demandé dans la foulée s’il acceptait d’être réglé pour partie avec les derniers denars qu’il nous restait, et pour le reste en euros. Là encore, il n’y a pas eu de problème. Il n’a fait aucune difficulté. Tant mieux, ça nous évitait de devoir aller en ville changer de l’argent... On était vernis ! J’étais content et gêné à la fois devant tant de gentillesse. Cerise sur le gâteau, sachant par la discussion que l’on venait d’avoir que nous allions maintenant en Albanie, il m’a donné le dépliant d’un camping albanais qu’il nous conseillait. (Je ne lui ai pas dit que nous avions réservé dans un hôtel...) Lorsqu’on s’est quittés, j’étais tout sourire. Je le regretterai quelques minutes plus tard lorsque je verrai dans mon rétro l’état de mes dents que je ne m’étais pas lavées ce matin-là et qu’il avait dû voir, hyper sales ! Aïe...
On a couvert très rapidement les quatre kilomètres qui nous séparaient du poste frontière albanais. C’est Muriel qui conduisait, car j’avais l’intention de prendre le plus de photos possible ! Le compteur de la Hyundai affichait 182006 kilomètres, ce qui signifiait qu’on avait roulé 3166 kilomètres depuis Villemoustaussou pour atteindre l’Albanie ; que j’avais certes choisi d’aborder par le sud quand ça aurait été moins long d’arriver par le nord par la région de Shkodër où il était prévu qu’on passe quelques jours plus tard avant de sortir du pays.
Passage de la frontière. Tadam ! Ah, comment vous dire ? Ce moment fut pour moi très fort. J’avais l’impression d’entrer enfin dans le Saint des Saints, de pénétrer (même si ce n’est plus le cas depuis plusieurs années) dans un territoire auquel je n’avais jusque là pu que rêver. Un territoire inaccessible, un territoire interdit... Tout allait-il être totalement différent de l’autre côté ? Allait-on vraiment sentir qu’au-delà de cette frontière, le temps n’avait pas avancé aussi vite qu’ailleurs ? Je savais bien qu’il ne fallait pas être aussi naïf, mais une part de moi l’espérait sans doute : j’avais quelque part envie de me sentir pionnier. J’avais envie que mes vacances soient vraiment extraordinaires, et bien qu’on ait déjà traversé des coins très intéressants les jours qui ont précédé, j’avais l’impression que l’Albanie pouvait m’en offrir encore plus, me surprendre encore plus. Comme si ça avait été le but ultime ; aussi n’étais-je pas peu fier d’avoir conduit ma famille jusque là. Ouverture des vitres, sourires, mirëdita (bonjour)... On tend les passeports qu’on a rassemblés et qu’on a ouverts à la page des photos. Scans, coups de tampons, falemindérit (merci). Et ça y est...
On est en Albanie !!! Juste après être passés, Muriel a voulu que j’aille faire du change tout de suite, dans une baraque qui affichait proposer ce service. Je n’étais pas trop chaud, persuadé que, comme dans tous les pays qu’on avait traversés jusque là (qui ont tous une monnaie non convertible hors leurs frontières), on allait facilement pouvoir trouver des bureaux de change. Mais j’ai obtempéré et je suis descendu de la voiture après avoir vérifié vite fait, en fonction de la somme en euros que j’allais changer, à combien de lekë (un lek, des lekë...) il fallait que je m’attende à obtenir en retour. Dans la baraque, il y avait quatre hommes. L’un d’eux tenait la boutique, et les trois autres (probablement des routiers ou en tout cas des habitués qui passaient par là) buvaient un verre au comptoir puisque l’endroit faisait aussi débit de boissons, ce qui n’était pas évident vu de l’extérieur. A mon mirëdita, ils ont dû comprendre tout de suite que j’étais un touriste, ils en ont eu confirmation lorsque j’ai tendu les deux cent quatre-vingts euros que je souhaitais changer. Mister Comptoir m’a alors tendu sa calculette sur l’écran de laquelle il venait de faire s’afficher un résultat correspondant à la somme en lekë à laquelle j’allais avoir droit. Cent trente lekë par euro alors que j’en espérais cent quarante-huit d’après mes données, ça ne m’a pas étonné... Changer à cinquante mètres d’un poste frontière, c’est comme changer dans un aéroport quand on pourrait avoir le choix de faire ça plus loin : ce n’est pas très futé ! Mais j’ai accepté sans essayer de négocier, me consolant en me disant que je participais ainsi hypothétiquement à l’augmentation du produit intérieur brut du pays ! Alors mon homme s’est retourné pour ouvrir un petit coffre qui était derrière lui d’où il a sorti trente-six mille quatre cents lekë ; que j’ai recomptés pour voir d’une part s’il y avait bien le compte, mais d’autre part aussi pour voir à quoi ils ressemblaient avant de les faire passer entre les mains des autres afin qu’ils les voient à leur tour. Je n’ai jamais recompté de l’argent devant les personnes qui m’ont fait le change... Histoire de ne pas les vexer et parce qu’il faut tout de même avoir un minimum de confiance, mais aussi pour une raison pratique puisque dans les Balkans, à part où l’euro a cours, les chiffres en devises locales sont souvent plus grands que ceux en euro. Or, avec le nombre de billets qu’on se retrouve avoir en mains et qu’on ne maîtrise pas visuellement, il n’est pas exclu que tout recompter rapidement ne pousse pas à l’erreur ; erreur qu’on aurait l’air malin de dénoncer si elle était de notre fait ! Je me suis toujours dit que le jour où je me ferais arnaquer, recompter ensuite ailleurs que devant la personne qui m’a donné l’argent ferait de toute façon que ma réclamation ne serait pas recevable. C’est une vieille crainte qui me vient de Casamance où l’on m’avait dit de me méfier parce que parfois, lors d’opérations de change, des billets de Guinée Bissau (choisis de valeur moindre que ceux attendus) étaient glissés à la place de francs C.F.A. dans la liasse tendue à celui qui venait changer confiant... Mais par chance, ça n’a jamais été le cas ici ou là : je ne me suis jamais fait blouser et j’espère bien que ça continuera ainsi !
Premiers tours de roues après le redémarrage, et déjà, premières photos à prendre !
Un des innombrables bunkers albanais.
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Nous venons tout juste de passer la frontière. Il n’est donc pas complètement aberrant de voir des infrastructures ayant ou ayant eu vocation à protéger le territoire de celui qui les a construits. Sauf que des bunkers, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, s’il y en logiquement le long de la frontière albanaise (notamment face à la Grèce ou sur le rivage méditerranéen), il y en a aussi... partout ailleurs dans le pays ! Celui ci-dessus est un « grand modèle » même si ce n’est pas évident à voir sur la photo. Mais la plus grande majorité sont des bunkers plus petits. Et comme je le disais, il y en a partout : le long des routes, dans les champs, et même au cœur des villes... Plusieurs dizaines de milliers, en tout. Voire des centaines de milliers, selon Dominique Ameye (Albanie, de l’embargo au chaos) ou Luan Rama (Le long chemin sous le tunnel de Platon) ! De véritables « verrues » impossibles à ne pas voir lorsqu’on sillonne le pays ! Ou des « champignons », si l’on considère, en dessous de leurs dômes visibles en surface, les cylindres enterrés dans lesquels se plaçaient guetteurs et/ou tireurs... C’est vers la fin des années soixante, alors que l’Albanie sortait du Pacte de Varsovie, qu’ont commencé à sortir de terre ces blockhaus. Ils visaient à empêcher toute invasion ou toute velléité d’occupation par un pays voisin ou par qui que ce soit d’autre. Ces premiers bunkers qu’on a vus étaient au nombre de quatre ou cinq : un gros, et les autres plus petits. Austères sentinelles d’un autre temps, elles formaient plutôt pour nous, telles une famille d’énormes tortues de béton, une haie d’honneur qui nous souhaitait la bienvenue !
A gauche, toute !
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Cet accueil par la famille Tortue fut bientôt renforcé par celui de deux panneaux tout aussi tentants l’un que l’autre qui nous proposaient chacun une direction pleine de promesses : l’une pointant vers Tirana via Elbasan, l’autre vers Korça via Pogradec. Nous avions une feuille de route établie, c’est à Korça que nous étions attendus et c’est donc vers la gauche que nous avons continué. Au début, la route était très large et très bonne. Elle descendait avec, côté talus, une glissière de sécurité. Puis très vite, la chaussée s’est faite moins large mais est restée d’un niveau de service très correct sur la périphérie du lac Ohrid, jusqu’à Pogradec. Ensuite, ça fut un peu plus folklorique, sans toutefois que ça devienne la galère comme on le lit ici ou là (et comme on en fera l’expérience le lendemain !) A Pogradec, le dictateur Enver Hoxha avait une maison. Pas étonnant donc que jusqu’à cette petite ville la route soit bonne ; en prolongement de l’axe Tirana-Elbasan qui, paraît-il, est bien confortable également. Nous ne nous sommes pas arrêtés à Pogradec, nous n’avons fait qu’y passer. Notre journée avait pour principal point fort la ville de Korça où nous comptions arriver assez vite pour prendre le temps de s’installer à l’hôtel avant d’en profiter à fond lors de cette seule journée qu’on lui consacrait.
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