Jeudi 9 août 2012. Skopje


Chapitre 7 sur 16.
(34 pages et 28 photos dans la version complète)

Extrait :



Il avait aboyé quelques fois au milieu de la nuit, plus ou moins loin de nos tentes. Il est difficile de se rendre compte des distances et des provenances des bruits lorsqu’on est, la nuit, dans sa bulle. Puis on l’avait oublié puisque la fatigue avait dû finir par l’emporter, et parce qu’il n’y avait pas de raison qu’il soit resté à côté de nous toute la nuit s’il avait un maître quelque part. Pourtant, au petit matin, chacun son tour, au sortir de la tente, on s’est rendu à l’évidence : le chien qui nous avait collés hier soir était toujours là et il avait dormi juste à côté de nous, installé comme s’il était des nôtres au milieu de notre petit mobilier de camping ! On ne lui aura jamais choisi de nom pour en parler entre nous ou pour s’adresser à lui, ça aurait été un pas vers une « adoption » qui n’était bien évidemment pas à l’ordre du jour, mais il a quand même réussi à être si envahissant que trop de situations se sont déroulées autour de lui. Pauvre clébard, malgré tout... Tout petit, tout maigre, ses oreilles étaient à moitié déchiquetées suite sans doute à des combats menés contre d’autres chiens et il avait une peau en si mauvais état, un poil si moche et tellement épars qu’en plus de ne pas vouloir le toucher parce qu’il n’était pas question qu’on s’en amourache, on pouvait largement craindre de contracter une quelconque maladie à son contact ! Ne parlons pas du risque qu’il vienne fourrer sa truffe dans nos provisions...

Une famille de Slovènes, un jeune couple et leur enfant, s’étaient installés pendant la nuit. On a bien essayé d’envoyer Olivier se promener avec le chien en lui demandant de suivre un itinéraire tel que l’animal aurait été attiré par quelque chose chez ces voisins et serait devenu leur boulet à eux, mais toutes nos tentatives du genre sont restées sans succès. Il faut dire qu’Olivier ne mettait sûrement pas autant de cœur qu’on l’aurait souhaité dans sa mission d’abandonneur. Mais que pouvait-il vraiment faire ? Courir pour le semer devait, aux yeux du chien, ressembler plutôt à une invitation à jouer à la course ! Et comme on ne pouvait pas abandonner Olivier pour se débarrasser du chien, immanquablement, le tandem à six pattes revenait vers le campement d’où on aurait bien sûr préféré que le clebs déguerpisse ! Olivier s’était épris du monstre (c’était joué d’avance !) mais il devait malgré tout obéir à nos interdictions de le caresser, lui qui a de nombreux problèmes aux yeux et traîne diverses allergies...

Bref, c’est avec un petit sphinx de poils crasseux en permanence à nos côtés que l’on devait vivre au camping Bellevue et s’efforcer de ne pas se faire embobiner par son regard de chien battu. La consigne était bien sûr de ne rien lui donner à manger, ça l’aurait encouragé à s’incruster encore plus... Il est donc resté à nos pieds ce matin-là pendant notre petit-déjeuner au cours duquel a été inaugurée la nouvelle pâte à tartiner aux noisettes. Elle était bicolore, avec une partie blanche dont les enfants ne sont pas spécialement fans, mais tant pis, on n’avait trouvé que ça. (Ne vous inquiétez pas, je m’en suis occupé, moi, de la partie blanche !) Une fois la table quittée et les corvées de vaisselle et de rangement faites, ceux qui n’avaient pas pris leur douche la veille au soir l’ont prise. Ça fut avec eau chaude pour les chanceux, avec eau froide pour les autres, chacun repérant où il irait (ou retournerait) la prochaine fois, en fonction de son expérience !

Pour aller à Skopje, on avait décidé de ne pas utiliser la voiture. On n’était pas si loin de la ville, une petite vingtaine de kilomètres. On allait donc demander à la réception de l’hôtel de nous appeler un taxi. On a rangé nos affaires, caché ce qu’on voulait cacher là où ça nous semblait le plus judicieux. On a fermé les tentes, et, équipés pour la journée de notre petit barda habituel, on s’est mis en marche. On a passé un petit portillon bas et traversé les jardins de l’hôtel où s’alignaient de belles tables en bois protégées par des maxi parasols. On en a profité pour jeter un coup d’œil sur les menus qui étaient posés dessus en se disant qu’éventuellement on pourrait programmer d’y manger un soir. Puis on a longé le grand bassin au bord duquel les clients de l’hôtel doivent apprécier de boire un petit cocktail, et avons remarqué qu’en haut d’une sorte de grand pilier, face à l’entrée principale du bâtiment, un grand nid trônait, avec une cigogne dedans ! C’est la personne qui nous avait accueillis hier qui nous a reçus cette fois encore. Après s’est renseigné sur les tarifs des taxis, il nous en a appelé deux, car un chauffeur de taxi ne doit pas, semble-t-il, charger plus de quatre clients à la fois. Cinq-dix minutes après, deux véhicules sont arrivés et nous ont embarqués. La consigne qui leur avait été donnée était de nous conduire au pied de l’hôtel Holiday Inn qui était un point de départ pratique pour la visite du centre-ville de Skopje. Au retour, il nous suffirait de revenir vers ce bâtiment, au pied duquel les taxis ont l’habitude de prendre des clients, et de demander aux chauffeurs l’hôtel Bellevue d’Ilinden ; ils connaissent.


Triple affichage : en macédonien, en anglais et en albanais.


La course fut rapide : un peu moins de vingt kilomètres, c’est vite avalé ! Juste le temps pour moi, pendant le trajet, de prendre en photo l’autre taxi et, à un feu rouge, le panneau ci-dessus. Le temps de regarder un peu le paysage, aussi, qui s’urbanisait de plus en plus à mesure qu’on s’approchait du cœur de la ville. D’arriver tôt était une bonne chose : on allait pouvoir profiter au maximum d’une longue journée de visite ! Lorsqu’on s’est arrêtés, on a payé les cinq cents denars qu’ont coûté les deux transports (environ huit euros). Le chauffeur de la voiture dans laquelle était montée Muriel lui a gentiment donné un petit plan du centre ville avec, en marge, un visuel de nombreuses choses à voir : ce petit dépliant allait nous servir tout de suite ! Notre première mission allait consister à aller dire bonjour à une grande dame, née en 1910 à Skopje quand la ville s’appelait encore Uskub, j’ai nommé : Anjezë Gonxhe Bojaxhiu... (Ou Mère Teresa, si vous préférez !) En contournant le centre commercial sur lequel le Holiday Inn est construit, on est arrivé assez vite, après avoir traversé un espace vert et vu la statue des Défenseurs, au pied de celle qu’on recherchait. Au pied d’un immeuble que l’on peut éviter d’avoir dans le cadre lorsqu’on la prend en photo, la statue de « Nënë Tereza » est là. La religieuse, connue surtout pour l’action qu’elle a menée aux côtés des pauvres de Calcutta, en Inde, est représentée dans une assez improbable génuflexion, semblant se prosterner respectueusement devant ceux qui viennent jusqu’à elle. Juste derrière, un bâtiment lui rend hommage. Construit à l’endroit où se tenait jadis l’église dans laquelle elle aurait été baptisée, il accueille un petit musée et un espace circulaire propice à de petits rassemblements ou à des prières collectives. Une petite boutique existe, aussi, qui propose naturellement quelques bougies, cartes postales et autres chapelets. Les enfants ont eu une pensée pour leur catéchiste et y ont choisi une carte à lui envoyer.


Skopje : la statue de Nënë Tereza et, derrière, le bâtiment qui lui est dédié.


Sous l’une des arches extérieures du bâtiment, une autre statue, blanche et plus discrète, s’offre également au regard des passants. Décédée en 1997, Mère Teresa est une enfant du pays dont toute la région loue le souvenir. Née en Yougoslavie ottomane mais albanophone, elle se disait Albanaise. On peut voir des statues d’elle en Macédoine, au Kosovo, en Albanie... Des rues et des places portent aussi son nom dans ces différents pays. Pour continuer vers le cœur du centre ville, plutôt que d’aller tout droit par le chemin le plus court, nous sommes repartis par l’avenue Dimitri Cupovksi ; un homme de lettres, auteur entre autres du premier dictionnaire macédonien-russe.


Skopje : avenue Dimitri Cupovski.


On voulait, pour la suite de notre promenade, partir d’un grand arc de triomphe à côté duquel on était déjà passés. Cerné d’immeubles mais mis en valeur par sa couleur blanche immaculée, il s’était en quelques sortes déguisé en une porte d’entrée donnant sur un monde extraordinaire. Ce qui n’était pas totalement faux : on aurait eu peine à imaginer ce qu’on allait découvrir derrière...

La Macédoine est un petit pays de deux millions d’habitants environ, le plus pauvre d’Europe après la Moldavie. Le Petit Futé nous en dit qu’en 2009, le PIB y était de moins de trois mille deux cents euros par habitant. Autant dire pas grand-chose. Et voilà que cet arc de triomphe, triomphant d’inutilité, se pavanait devant nos yeux ! Il doit surtout faire mal à ceux des Skopiotes (et des Macédoniens en général) qui doivent penser de lui, comme de beaucoup d’autres réalisations qu’on verra peu après, qu’il est la matérialisation d’un gâchis financier au profit de la mégalomanie du président Gjorge Ivanov ou en tout cas d’un cercle restreint de décideurs. Un peu comme la cathédrale de Yamoussoukro en Côte d’Ivoire, comme les statues géantes des dictateurs en Corée du Nord ou au Türkmenistan, ou comme celle du monument de la Renaissance Africaine à Ouakam, au Sénégal, qui surplombe la misère du haut des cinquante-deux mètres qu’elle affiche... Nous passons donc sous cet arc sans soldat inconnu et sommes mis par lui dans l’axe d’une rue qui pointe vers la « Place Makedonija » : le cœur d’une sorte de Disneyland balkanique sans fête foraine mais avec moult choses à regarder (à admirer ?) et dont cet arc est en soi un bel échantillon.


Skopje, arc de triomphe.


La Macédoine a connu un tremblement de terre ravageur le matin du 26 juillet 1963. Ce séisme, dont l’épicentre a été localisé à environ dix kilomètres au nord de Skopje (et environ trois kilomètres sous terre) fut d’une amplitude de 6,9 sur l’échelle de Richter. Il n’aurait duré qu’une vingtaine de secondes, mais fut assez violent pour que s’écroulent près des trois quarts de la ville, pour que meurent trois mille personnes et pour que cent vingt mille autres se retrouvent sans abri. Suite à cette catastrophe, le pays reçut une importante aide extérieure et la reconstruction put se faire, qui dura une vingtaine d’années jusqu’au début des années 1980. Il avait d’abord été question d’abandonner le site, de ne pas reconstruire la ville au même endroit. Malgré tout, Skopje s’est relevée en lieu et place, en zone sismique, consciente de ce qui pourrait lui arriver encore et encore... Certains bâtiments importants ont complètement disparu et ont depuis été remplacés par des nouveaux. D’autres ont pu être réhabilités, comme l’ancienne gare qui a été reconvertie en musée. Aujourd’hui, la capitale macédonienne subit un autre genre de transfiguration : c’est le projet « Skopje 2014 », un pharaonique projet de construction initié en 2009 et dont les réalisations les plus ostensibles sont, outre de nombreux bâtiments ultramodernes, de nombreuses statues et autres édifices plus ou moins folkloriques, voire plus ou moins controversés pour certains.


Haute de 22m est la statue du « cavalier sur son cheval »


Une des plus grandes statue est la statue équestre dont chacun sait bien qu’il s’agit d’Alexandre le Grand mais dont on lit par exemple au dos des cartes postales sur lesquelles elle apparaît qu’elle est la statue d’un « cavalier sur son cheval ». Habile appellation détournée, pour éviter de faire rugir le voisin grec ! Mais personne n’est dupe. En effet, la Macédoine et la Grèce, limitrophes, ne sont pas en bons termes. La seconde n’a d’ailleurs toujours pas reconnu la première. Les éléments sont nombreux qui font que les relations diplomatiques entre les deux pays sont mauvaises. Vus de notre fenêtre, certains relèvent plutôt de l’ordre du symbolique, mais il en va de l’identité même des deux rivaux, d’où le hic ! Il y a eu le choix du nom du pays, par exemple : comme elle revendiquait à la fois le territoire et le nom « Macédoine » comme étant patrimoines culturels grecs au regard de l’Histoire, la Grèce ne voulait pas que son petit voisin du nord s’appelle Macédoine après la dislocation de la Yougoslavie... Pour ménager la chèvre et le chou, il avait été proposé que l’ex-république yougoslave prenne le nom de « Macédoine du Nord », mais l’idée n’a pas fait long feu.

(...)

Procurez-vous le texte intégral sur amazon ! (Merci !)