Avant, et plus tôt encore


Chapitre 1 sur 16.
(14 pages et 2 illustrations dans la version complète)

Ce chapitre présente l'avant-voyage. Il revient sur les motivations et sur les préparatifs. Il passe parfois un peu du coq à l'âne, rebondissant d'une idée à l'autre. Un peu comme quand on se retrouve devant une valise à remplir et qu'on met dedans, les unes après les autres, les choses qu'on veut emporter avec soi. Concevoir un voyage, c'est déjà un peu y être !

Extrait :



L’envie d’y aller ne m’est pas venue sur un coup de tête. Avide de voyager de par le monde, et sans aucun doute animé par ce naïf désir de ne pas faire comme tout le monde, de ne pas aller là d’où tout le monde a déjà rapporté mille photos, j’ai toujours eu, depuis mon plus jeune âge, envie d’aller dans certains pays qui, à mes yeux d’enfant en tout cas, avaient moins la cote que d’autres. L’Albanie en faisait partie, me fascinant paradoxalement pour le peu que j’en savais. Pour sa langue, aussi, qui posait sur les cartes géographiques des noms pleins de trémas enchantant mes yeux rêveurs et attirant sur eux mes doigts qui se mettaient alors, comme une voiture imaginaire, à glisser de l’un à l’autre. Adolescent, alors qu’on est plutôt du genre à se tourner vers les bandes dessinées (ce qui ne m’empêchait pas de le faire, cela dit), j’avais emprunté à la bibliothèque de ma ville un livre sur ce pays à l’époque totalement hermétique, un livre qui même si j’en ai aujourd’hui tout oublié est resté une sorte de référence, d’appel, d’invitation ; un livre que je n’ai pas réussi depuis à retrouver ou à reconnaître, ne me souvenant ni du nom de l’auteur, ni de celui de l’éditeur, ni même de ce à quoi ressemblait sa couverture !

Dans mon souvenir, l’auteur nous y faisait part non pas des difficultés qu’il avait rencontrées pour obtenir l’autorisation d’y séjourner mais plutôt de ces petites contraintes auxquelles il lui avait fallu se plier... Sans toutefois parler d’absolue impossibilité de s’y rendre, et c’était bien là ce qui m’importait ! Fallait-il à l’époque montrer « patte rouge » ? Avoir obligatoirement un objectif professionnel ? Honnêtement, je n’en sais plus rien. Mais cela ne changeait en réalité pas grand-chose à mes envies puisqu’à l’âge que j’avais, je savais que le voyage ne serait de toute façon pas pour tout de suite. Dans l’ouvrage, on avait droit aussi bien sûr aux pages historiques, politiques et sociétales comme on en trouve dans tous les guides. Étaient faites également des descriptions des régions et des villes, de leurs atouts et de leurs immanquables. Il y était aussi question des gens et de leurs styles de vie... Et moi de me dire que dans n’importe quel pays, quelques soient le régime politique et les difficultés que rencontrent les populations pour vivre (ou pour survivre, dans les cas les plus terribles), il y a des gens qui n’aspirent qu’à vivre en paix et qui ne sont en aucun cas à l’origine de l’image qui est donnée « chez nous » de leur pays. Et donc que même si l’on associe à la pauvreté ou à la truanderie des peuples entiers (le genre de détails qui fait choisir aux touristes d’autres destinations, n’est-ce pas !?), le cliché ne doit pas l’emporter sur la réalité.

L’Albanie s’est ensuite un peu effacée dans le cortège des voyages prioritaires que je souhaitais faire. Simplement à cause d’occasions qui se sont présentées avant. Ainsi j’aurais visité Moscou et Minsk dans l’URSS de 1986, à douze ans. Et plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, plus tard, jeune adulte. Gardant cependant toujours vivaces mes envies encore non assouvies à ce jour de découvrir l’Asie centrale ou la Papouasie Nouvelle Guinée pour ne citer qu’elles... L’Albanie restait cependant une de ces destinations « élues », si proche cependant de mon pays la France qu’il n’était pas grave de n’envisager le voyage que plus tard puisqu’elle était à portée de voiture.

La philatélie qui est un de mes passe-temps a contribué à acérer ma curiosité dès qu’il était question de géographie politique. Recevoir une lettre d’un pays dont je n’avais pas encore de timbre s’apparentait un peu pour moi à passer une frontière pour la première fois. Une sorte d’exploration, de rallye sur la mappemonde, un peu à la manière d’un puzzle que l’on complète case après case. Obtenir un courrier d’un pays dont on ne sait rien et où l’on n’a pas de correspondant n’est pas toujours chose aisée même si les moyens sont finalement assez nombreux (aujourd’hui encore plus) pour arriver à ses fins. Un jour (ado, toujours), j’ai vu à la télévision un reportage sur l’école française de Tirana. Et c’est avec une grande attention que j’ai regardé ce reportage qui me permettait entre autres de voir et d’entendre des élèves, des jeunes comme moi, vivant là-bas. Tout simplement. Or, se rendre compte qu’on a des homologues, chacun à son petit niveau, partout dans le monde, ça aide à envisager autrement la notion de frontières et à avoir faim d’amitiés internationales.

Vint le moment que j’attendais sûrement le plus, inconsciemment ou non, dans ce reportage. Lors de l’interview d’une enseignante de français, et alors qu’elle répondait aux questions qui lui étaient posées, le prénom et le nom de celle-ci apparurent au bas de l’écran, comme c’est courant dans ces cas-là. Il ne m’en a pas fallu plus pour que le philatéliste que j’étais note tout cela sur un bout de papier et se décide à jeter une « bouteille à la mer » : avec l’identité de cette personne, son lieu de travail et la ville de Tirana comme éléments, j’avais de quoi envoyer un courrier adressé à cette enseignante ! Ce que j’ai fait, postant peu après une lettre dans laquelle je lui révélais bien entendu comment j’avais eu ses coordonnées, et dans laquelle j’entamais une correspondance, aidé par les sujets du reportage qui m’avaient offert des sujets de conversation !

Quelque temps après, je recevais une gentille lettre de Violeta K. L’enveloppe tient aujourd’hui encore belle place dans ma collection « Une lettre reçue à mon nom depuis chaque pays ou territoire du monde ayant sa propre philatélie ». Un très bref échange s’en est suivi mais il n’a pas duré. En recevant sa première lettre, peut-être avais-je atteint un objectif qui a mis à mal la sincérité que j’avais affichée de vouloir correspondre durablement avec un ou une correspondant(e) volontaire, élève à l’école française de Tirana ? C’est ainsi. Dommage... Jeune, j’ai dû vite m’en accommoder. Aujourd’hui, je regrette ; tout en sachant qu’elles sont rares, les correspondances d’enfants qui durent jusqu’à l’âge adulte.

De nombreuses années plus tard, en 2009, le dix-neuf août, nous étions en famille à Sarajevo. On avait fêté, au dîner, dans un restaurant, l’anniversaire de ma femme : elle avait quarante ans. Les quarante miens allaient s’afficher au compteur trois ans plus tard, et ce soir-là, devant les « cevapcici » qui allaient ravir nos papilles et associer la capitale bosnienne à (entre autres) de bons souvenirs culinaires, j’avais alors annoncé, sans trop savoir bien sûr si ce projet allait se réaliser, que je souhaitais moi fêter mes quarante ans à Tirana. Résurgence d’un rêve de voyage qui sommeillait... Phrase que j’avais lancée un peu comme ça, fanfaron, trouvant sympa que ma femme puisse ensuite se rappeler avoir fêté son « âge rond » dans un ailleurs exotique... Mais phrase qu’il fallait que je lance, comme pour poser la fondation d’un édifice...

Et nous voici donc en 2012. Le quotidien ne nous a pas laissé trop le temps de parler des vacances familiales, au début de cette année-là. Il faut dire que le planning du mois de juillet s’est assez vite « rempli » puisque nous avions inscrit nos deux garçons Simon et Olivier à la Cité des Jeunes, la colonie à laquelle ils vont chaque année, et parce que Muriel et notre fille Lucile avaient programmé de partir toutes les deux pendant une quinzaine de jours à Cotonou, au Bénin. Ce n’était pas le premier séjour dans ce pays d’Afrique pour Muriel, mais c’était le premier pour Lucile qui là-bas allait retrouver sa marraine béninoise qu’elle n’avait plus revue depuis qu’elle avait deux ans ; autant dire qu’elle ne s’en rappelait plus du tout ! Les seuls « souvenirs » qu’elle avait s’étaient construits sur ce qu’on lui avait raconté et sur des photos que l’on recevait à l’occasion.

La tête dans leurs camps de jeunes pour les uns, des rêves d’Afrique pour les autres... Voilà qui ne laissait pas beaucoup de place dans les esprits pour un séjour dans les Balkans qui me tenait moi très à cœur. Et pour cause : les congés d’été en 2012, en ce qui me concernait, étaient posés au mois d’août et seraient mes seules vacances... Alors sans me désintéresser des aventures qu’allaient vivre ma femme et mes enfants en juillet, j’avais quand même décidé de préparer un tant soit peu un circuit aoûtien, histoire qu’à leurs retours, à la question « Et qu’est-ce qu’on fait au mois d’août ? », je puisse avoir quelques éléments de réponse à proposer !

« Mais pourquoi donc partez-vous en vacances à l’étranger ? C’est loin, c’est fatigant ! Et la France est un pays où il y a plein de belles choses à voir, alors pourquoi ne pas partir d’abord à sa découverte ?! ». Voilà des choses que j’ai souvent entendues. Et qui sont vraies ! Mais quand je réponds que j’aime le changement d’air, de paysages, de sensations, et qu’on me dit que la France offre également tout cela, je précise alors que j’aime aussi beaucoup les changements de langues, de monnaies, d’habitudes alimentaires... J’aime ne plus avoir mes repères, j’aime aller vers l’inconnu et en revenir ravi. Un exemple plus terre à terre que je donne souvent est qu’en vacances, j’aime bien ne pas faire mes courses dans des centres commerciaux qui ressemblent en tout point à ceux de ma ville. Mêmes enseignes, mêmes agencements, mêmes ambiances : quelle barbe ! Et puisque je n’ai qu’une vie, je dis préférer aller voir « plus loin » et pouvoir dire avoir vu (ne serait-ce qu’un peu) plutôt que risquer de regretter ensuite de ne pas l’avoir fait quand j’en avais l’envie et la possibilité. Car entre nous, ceux qui auront parcouru la France en long, en large et en travers toute leur vie durant n’auront eux non plus, au bout du compte, pas tout vu en France ! N’est-ce pas ?

A chaque retour de vacances, Lucile trace sur une carte d’Europe les trajets qu’on a faits. Et lors de ce rituel, en plus du plaisir qu’on a à se remémorer les choses, il est facile et agréable de rêver à de futurs itinéraires. Comme on sait que l’on peut raisonnablement parcourir mille à mille deux cents kilomètres en une journée de voiture, on sait ainsi et par exemple que Venise n’est qu’à une journée de chez nous. Facile ensuite, depuis ce « poste avancé » italien, de voir jusqu’où pourraient nous mener mille kilomètres supplémentaires ! Et le choix est large ! Je dis d’ailleurs parfois que je suis content de ne pas habiter au Portugal : de ne pas avoir, chaque fois que je veux voyager à travers l’Europe en voiture, à commencer par devoir traverser toute l’Espagne et toute la France !

Un nouveau voyage dans les Balkans étant dans l’air du temps : parce qu’on avait aimé, on savait qu’un jour on y retournerait. Comme on avait déjà visité Zagreb en 2006 et comme on avait déjà parcouru en différentes étapes la cote croate en 2009, un trajet « par les terres » paraissait tout indiqué pour plonger jusqu’en Albanie sans revoir les mêmes choses, sans s’arrêter aux mêmes endroits, sans retraverser la Croatie littorale. Belgrade s’est donc assez vite imposée comme étant une ville d’intérêt atteignable en deux jours et l’idée a pris corps : visiter la Serbie, puis atteindre l’Albanie par la Macédoine avant de reprendre la route qui nous ramènerait, en fin de vacances, à la maison.

Serbie. C’est ce nom qui s’est donc d’abord installé dans nos esprits. A qui nous demandait ce qu’on projetait en août, on répondait (pour ne pas « dérouler » une longue liste de pays) qu’on prévoyait d’aller en Serbie ! La plupart du temps, cette réponse laissait les gens pantois : parce qu’ils ne savaient pas grand-chose de ce pays (et c’était finalement mon cas aussi !), la conversation tournait habituellement court. Qu’à cela ne tienne !

Était arrivé en tout cas un des moments importants et jouissifs de la préparation du voyage : la définition de l’itinéraire. L’itinéraire, le trajet à suivre, c’est un lien qu’on trace entre les sites qu’on a envie de visiter... C’est une guirlande sur la carte dont les éléments sont autant de surprises qu’on se réserve ! Et il n’a pas été trop compliqué à définir, ce parcours... Tout étant pour nous « à découvrir » au-delà de Zagreb et hormis la cote croate et quelques villes de Bosnie-Herzégovine, il a été aisé de se laisser tenter par différentes localités.

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